Palais engloutis : Guide des anciennes citernes d’Istanbul
Istanbul, ville à cheval sur deux continents, est un véritable trésor d’histoire, où chaque recoin murmure les récits des empires passés. Si les majestueuses mosquées, les palais opulents et les bazars animés de la surface sont mondialement connus, un monde caché se cache sous les rues de la ville. Ce royaume souterrain, un réseau d’anciennes citernes, révèle les prouesses techniques et la vision stratégique des empereurs byzantins.
Ces magnifiques réservoirs d’eau souterrains, souvent appelés « palais engloutis », ne sont pas de simples réservoirs ; ce sont des merveilles architecturales qui servent silencieusement la ville depuis des siècles. Ce guide vous emmènera dans un voyage immersif au cœur des citernes les plus célèbres et mystérieuses d’Istanbul, à la découverte de leur histoire, de leur architecture et des légendes qui résonnent dans leurs chambres humides et colossales.
Le moteur de Constantinople : pourquoi tant de citernes ?
Avant d’aborder chacune de ces merveilles, il est crucial de comprendre pourquoi Constantinople, illustre capitale de l’Empire byzantin, avait besoin d’un système de stockage d’eau aussi vaste et sophistiqué. La ville, stratégiquement située sur une péninsule, ne disposait pas de rivières d’eau douce importantes. Ses principales sources d’eau provenaient des sources et des rivières de l’arrière-pays thrace, acheminées vers la ville par un système complexe d’aqueducs, notamment l’aqueduc de Valens.
Cependant, cette dépendance aux sources extérieures rendait la ville vulnérable. Lors des fréquents sièges qui ont jalonné sa longue histoire, les forces ennemies ont souvent ciblé les aqueducs pour couper l’approvisionnement en eau. Pour assurer la survie de ses centaines de milliers d’habitants, les Byzantins ont construit des centaines de citernes dans toute la ville.
Ces réservoirs souterrains stockaient l’eau apportée par les aqueducs, créant ainsi un approvisionnement vaste et résilient capable de subvenir aux besoins de la population pendant de longues périodes de sécheresse ou de guerre. Des grandes citernes publiques alimentant les palais et les bains aux citernes privées plus petites dissimulées sous les monastères et les maisons, ce réseau constituait l’artère vitale de la ville.
La Citerne Basilique : Le Palais Englouti de Méduse
La plus célèbre des citernes d’Istanbul est sans conteste la Citerne Basilique, ou Yerebatan Sarnıcı en turc, qui signifie « Citerne Engloutie » ou « Palais Englouti ». Située à deux pas de Sainte-Sophie, cette merveille souterraine à couper le souffle est un incontournable pour tout visiteur de la ville.
Un projet grandiose de l’empereur Justinien Ier
La Citerne Basilique a été construite au VIe siècle, sous le règne du grand empereur byzantin Justinien Ier, vers 532 apr. J.-C. Elle a été construite sur le site d’une ancienne grande basilique, d’où son nom. Les textes historiques suggèrent que 7 000 esclaves ont participé à sa construction. Ce réservoir colossal était destiné à alimenter en eau le Grand Palais de Constantinople et les bâtiments impériaux environnants.
Splendeur architecturale sous les rues
Descendre les marches de pierre de la Citerne Basilique, c’est pénétrer dans un autre monde. Son immensité et son atmosphère mystique sont impressionnantes.
- Vastes dimensions : La citerne couvre une superficie d’environ 9 800 mètres carrés (105 000 pieds carrés) et peut contenir jusqu’à 80 000 mètres cubes (2 800 000 pieds cubes) d’eau.
- Une forêt de colonnes : Le toit est soutenu par une forêt de 336 colonnes de marbre, chacune haute de 9 mètres (30 pieds). Disposées en 12 rangées de 28, ces colonnes créent un effet fascinant de répétition infinie qui se reflète dans l’eau peu profonde en contrebas.
- Grandeur recyclée : Ces colonnes sont un exemple fascinant de l’ingéniosité byzantine. Elles ont été récupérées dans diverses structures et temples anciens de tout l’empire, donnant naissance à une variété de styles, principalement ioniques et corinthiens.
Les énigmatiques têtes de Méduse
À l’extrémité nord-ouest de la citerne se trouvent ses éléments les plus célèbres et mystérieux : deux têtes colossales de Méduse en marbre. L’une est placée de côté, l’autre à l’envers, à la base de deux colonnes. L’origine exacte de ces magnifiques sculptures de l’époque romaine est inconnue, et leur emplacement fait l’objet de spéculations.
Une théorie suggère qu’elles auraient été placées là pour contrer le pouvoir du regard pétrifiant de Méduse. Une autre explication plus pratique est qu’elles étaient simplement de la taille idéale pour servir de bases de colonnes. Quoi qu’il en soit, elles ajoutent une touche d’intrigue mythologique à l’atmosphère déjà magique.
Après la conquête ottomane en 1453, la citerne continua d’alimenter en eau le palais de Topkapi pendant un certain temps, mais finit par disparaître.La Citerne Basilique fut abandonnée jusqu’à sa redécouverte au milieu du XVIe siècle par l’érudit français Petrus Gyllius. Aujourd’hui, après d’importantes restaurations, la Citerne Basilique est l’une des attractions touristiques les plus populaires d’Istanbul. Ses passerelles en bois surélevées, son éclairage d’ambiance et le doux bruit de l’eau qui coule créent une expérience inoubliable.
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La Citerne Théodose : une symphonie de lumière et d’histoire
Connue en turc sous le nom de Şerefiye Sarnıcı, la Citerne Théodose est un autre joyau de l’ingénierie byzantine. Bien que plus petite que la Citerne Basilique, son élégance architecturale et sa présentation moderne en font un site unique et captivant.
Un héritage de Théodose II
Construite entre 428 et 443 apr. J.-C. par l’empereur Théodose II, cette citerne a plus de 1 600 ans, soit près d’un siècle avant la Citerne Basilique. Elle était un élément essentiel du réseau de distribution d’eau de la ville, alimenté par l’aqueduc de Valens. Pendant des siècles, elle est restée cachée sous les rues et n’a été redécouverte et ouverte au public qu’au XXIe siècle, après une restauration minutieuse.
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Design élégant et art moderne
La Citerne Théodose mesure environ 45 mètres sur 25 et son plafond est soutenu par 32 colonnes de marbre. Les colonnes, ornées de chapiteaux corinthiens complexes, sont dans un état de conservation exceptionnel, témoignant de la qualité de l’artisanat du Ve siècle.
La Citerne Théodose se distingue par sa fusion moderne entre histoire et technologie. Elle est aujourd’hui un espace culturel accueillant des expositions d’art et des concerts. Son attraction principale est un impressionnant spectacle de projection à 360 degrés qui illumine les colonnes et les voûtes antiques d’images captivantes, relatant l’histoire de l’eau et celle d’Istanbul. Cette approche innovante permet aux visiteurs de découvrir l’ancienne structure de manière dynamique et immersive.
Guide de visite de la citerne Théodose
La citerne de Philoxène : le labyrinthe aux 1001 colonnes
Deuxième plus grande citerne d’Istanbul, la citerne de Philoxène est plus connue sous son nom turc évocateur, Binbirdirek Sarnıcı, qui signifie « la citerne aux 1001 colonnes ».
Une merveille du IVe siècle
Construite au IVe siècle sous le règne de Constantin le Grand, elle est encore plus ancienne que la citerne Théodose. Elle fut commandée par le sénateur romain Philoxène pour approvisionner son palais voisin. Si son nom est une exagération poétique – le nombre réel de colonnes est de 224 –, l’effet n’en est pas moins impressionnant.
Colonnes uniques à double empilement
La caractéristique la plus distinctive de la citerne de Binbirdirek réside dans ses colonnes. Chacune des 224 colonnes est une superposition de deux colonnes plus petites reliées par un anneau de marbre. Cette conception confère à la citerne une allure imposante et unique. La chambre, d’une superficie de 3 640 mètres carrés, pouvait contenir 40 000 mètres cubes d’eau. La plupart des colonnes et des chapiteaux sont gravés de marques de maçons grecs, établissant un lien direct avec les artisans qui ont construit cette structure.
Au fil des siècles, la citerne est tombée en désuétude et son sol a été comblé de terre. À l’époque ottomane, elle servait d’atelier aux fileurs de soie. Après d’importantes fouilles et restaurations, la citerne a été ouverte au public et est aujourd’hui un lieu prisé pour les mariages, les concerts et les événements culturels, son espace spacieux et évocateur offrant un cadre exceptionnel.
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La Citerne Nuruosmaniye : une surprise sous une mosquée
L’une des découvertes les plus récentes dans le paysage souterrain d’Istanbul est la citerne découverte sous la mosquée Nuruosmaniye du XVIIIe siècle, près de l’entrée du Grand Bazar. Cette découverte souligne que de nombreuses autres structures antiques pourraient encore être cachées sous la ville moderne.
La citerne a été redécouverte lors de travaux de restauration de la mosquée en 2013. Les ouvriers qui ont déblayé le sous-sol ont retiré des tonnes de boue et de limon pour révéler un magnifique système de collecte des eaux toujours en état de fonctionnement. La structure, qui couvre une vaste zone sous la cour de la mosquée, comprend des galeries, de petites pièces et un puits. Elle témoigne des compétences techniques avancées des Ottomans, qui ont intégré cet ancien système d’adduction d’eau aux fondations de leur mosquée de style baroque, probablement pour atténuer les risques sismiques et gérer les eaux souterraines. Bien que moins ancienne que ses homologues byzantines, la citerne Nuruosmaniye est un exemple fascinant de la relation de la ville avec ses réseaux d’eau souterrains.a été entretenu au fil des siècles.
À la découverte des citernes méconnues d’Istanbul
Outre les célèbres « trois grandes », Istanbul regorge de dizaines d’autres citernes, dont beaucoup restent cachées ou difficilement accessibles au public. Parmi ceux-ci :
- Citerne de Zeyrek : Située près du monastère du Pantokrator (aujourd’hui la mosquée de Zeyrek), cette citerne est considérée comme l’une des plus anciennes de la ville. Elle offre un aperçu plus brut et non restauré du passé.
- Citerne de Mocius : Une immense citerne à ciel ouvert, l’une des plus grandes de la ville, située dans le quartier de Fatih. Aujourd’hui transformée en parc et espace éducatif.
- Citerne d’Aetius : Un autre immense réservoir à ciel ouvert est aujourd’hui utilisé comme stade sportif, le stade Karagümrük.
Ces sites, bien que moins visités, sont des pièces essentielles du puzzle que constitue le système historique de gestion de l’eau d’Istanbul. Ils témoignent de l’ampleur des efforts byzantins pour assurer la prospérité et la sécurité de leur capitale. L’héritage durable des citernes d’Istanbul
Les citernes d’Istanbul sont plus que de simples réservoirs antiques ; elles sont les témoins silencieux de l’histoire tumultueuse et glorieuse de la ville. Elles représentent une fusion remarquable d’ingénierie pragmatique et d’un art époustouflant. Ces cathédrales souterraines, avec leurs forêts de colonnes et leurs chambres résonnantes, ont été le moteur d’un grand empire et offrent aujourd’hui un lien profond avec le passé profond et complexe de la ville. La visite de ces palais engloutis est un élément essentiel de l’expérience stambouliote, un voyage dans les profondeurs froides et obscures qui révèle les véritables fondements de cette ville éternelle.
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