Découvrez l’ancienne citerne d’Aetius à Istanbul
Au cœur du quartier historique de Fatih, à Istanbul, loin des sentiers battus qui mènent à Sainte-Sophie ou à la Mosquée Bleue, se trouve un remarquable témoignage des prouesses techniques de l’Empire byzantin.
C’est un lieu où le bruit des chars romains a cédé la place aux acclamations des supporters de football, un lieu qui a abreuvé une métropole, nourri des jardins et accueille aujourd’hui les aspirations sportives d’un fier quartier. Voici la citerne d’Aetius, un ancien réservoir qui a évolué au fil des siècles, offrant un récit unique et captivant de l’histoire mouvementée d’Istanbul.
Cette colossale citerne à ciel ouvert, autrefois un élément essentiel du complexe système d’approvisionnement en eau de Constantinople, abrite aujourd’hui le stade Vefa. Son histoire est un voyage captivant à travers le temps, depuis ses origines au Ve siècle, garante d’une eau vivifiante, jusqu’à sa transformation en jardin en contrebas à l’époque ottomane, et sa renaissance au XXe siècle en tant qu’arène sportive moderne. Découvrir la Citerne d’Aetius, c’est décortiquer le tissu urbain d’Istanbul et constater l’incroyable adaptabilité de ses structures antiques.
L’élément vital d’un empire : l’eau de Constantinople
Pour vraiment apprécier l’importance de la Citerne d’Aetius, il faut d’abord comprendre le rôle crucial de l’eau dans la vie de Constantinople. Fondée sur une péninsule aux ressources en eau douce limitées, la survie et la croissance de la ville dépendaient d’un réseau sophistiqué d’aqueducs et de citernes qui amenaient l’eau de l’arrière-pays thrace. Ce système complexe était vital pour la capitale byzantine, alimentant ses palais majestueux, ses magnifiques églises, ses bains publics et, surtout, sa population en constante augmentation.
La gestion des eaux de la ville était une merveille d’ingénierie romaine et byzantine. Un vaste réseau de canaux, certains s’étendant sur plus de cent kilomètres, alimentait une multitude de citernes couvertes et à ciel ouvert, stratégiquement réparties dans la ville. Ces réservoirs n’étaient pas de simples réservoirs de stockage ; ils étaient essentiels à la défense de la ville, assurant l’approvisionnement en eau lors des nombreux sièges auxquels Constantinople a été confrontée tout au long de sa longue histoire.
Les trois géants : les citernes à ciel ouvert de Constantinople
Parmi les centaines de citernes qui parsemaient la ville, trois se distinguaient par leur taille et leur importance. Voici les citernes à ciel ouvert de :
- Aetius
- Aspar
- Mocius
Ces immenses réservoirs rectangulaires, construits sur les hauteurs de la ville, étaient essentiels pour stocker de grandes quantités d’eau et réguler sa distribution. Leur construction fut une entreprise monumentale, témoignant des compétences organisationnelles et techniques de l’État byzantin.
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La création d’un colosse : la citerne d’Aetius
La citerne d’Aetius fut construite en 421 apr. J.-C. sous le règne de l’empereur Théodose II. Son homonyme, Aetius, était alors préfet de Constantinople, un haut fonctionnaire responsable de l’administration et des infrastructures de la ville. La décision de construire un réservoir aussi vaste souligne l’expansion rapide de la ville au Ve siècle et le besoin urgent d’assurer son approvisionnement en eau.
Grandeur architecturale et ingéniosité technique
Les dimensions de la Citerne d’Aetius sont stupéfiantes, même selon les normes modernes. Mesurant environ 244 mètres de long et 85 mètres de large, pour une profondeur d’environ 13 à 15 mètres, elle pouvait contenir environ 250 000 à 300 000 mètres cubes d’eau. Sa construction, un chef-d’œuvre de l’ingénierie byzantine, était conçue pour résister à l’immense pression de l’eau qu’elle contenait.
Les murs de la citerne, encore visibles aujourd’hui sur le pourtour du stade de Vefa, ont été construits selon la technique romaine et byzantine caractéristique de l’opus listatum. Cette méthode impliquait une alternance de couches de blocs de pierre et de briques, offrant à la fois résistance et flexibilité. L’intérieur des murs était probablement enduit d’une épaisse couche de mortier imperméable, un mélange de chaux, de sable et de terre cuite concassée, pour empêcher toute infiltration.
Du réservoir au jardin en contrebas : l’ère du « Cukurbostan »
Après la conquête ottomane de Constantinople en 1453, le système de gestion des eaux de la ville subit d’importants changements. Si certaines citernes antiques furent entretenues et réparées, d’autres, notamment les grands réservoirs à ciel ouvert, tombèrent en désuétude. La Citerne d’Aetius était l’une de ces structures. Au XVIe siècle, des voyageurs rapportèrent sa présence.être vide.
Cependant, l’histoire de la citerne ne s’arrêta pas là. Témoignant de l’ingéniosité des habitants de la ville, le vaste bassin vide fut transformé en « çukurbostan », terme turc signifiant « jardin en contrebas ». Le limon fertile accumulé au fond de la citerne au fil des siècles offrit un environnement idéal à la culture de légumes et de fruits.
Ces jardins en contrebas devinrent un élément essentiel de l’économie locale et de l’approvisionnement alimentaire, fournissant des produits frais aux quartiers environnants. Les hauts murs de la citerne créaient un microclimat unique, protégeant les cultures des vents violents et retenant l’humidité.
L’époque du « çukurbostan » représente un chapitre fascinant de l’histoire de la citerne, une période où ce monument du pouvoir impérial fut transformé en un espace de subsistance communautaire et de productivité agricole.
Une nouvelle arène pour une nouvelle république : la naissance du stade Vefa
Le XXe siècle apporta une nouvelle transformation spectaculaire à la citerne d’Aetius. Aux débuts de la République turque, Istanbul connaissait une modernisation rapide.
Les structures anciennes de la ville étaient réévaluées et, pour l’ancienne citerne, une nouvelle vocation fut envisagée. En 1928, la décision fut prise de transformer l’ancien réservoir en stade de football.
Le stade Vefa, comme on l’appelait alors, fut officiellement inauguré en 1945. Les anciennes murailles byzantines, qui retenaient autrefois une mer d’eau, formaient désormais le décor impressionnant et historique d’une enceinte sportive moderne.
Cette réutilisation adaptative d’une structure historique est un exemple remarquable de la façon dont Istanbul s’est continuellement réinventée, alliant son riche passé au dynamisme du présent.
Le stade devint le domicile du club sportif Vefa, puis du club sportif Fatih Karagümrük. Depuis, il a accueilli d’innombrables matchs de football, des ligues amateurs aux compétitions professionnelles, et est devenu un lieu de rencontre apprécié de la communauté locale.
Les acclamations et la passion des supporters de football qui se rassemblent ici chaque semaine ajoutent une dimension nouvelle et vibrante à la longue et riche histoire de ce site antique.
La Citerne d’Aetius aujourd’hui : une expérience de voyage unique
Pour le voyageur intrépide en quête d’aventures hors des sentiers battus, une visite à la Citerne d’Aetius offre une expérience stambouliote authentique et unique. C’est un lieu où l’on peut observer l’intégration harmonieuse de l’histoire ancienne et de la vie moderne, un lieu qui témoigne de la résilience, de l’adaptation et de l’esprit intemporel de la ville.
Comment s’y rendre
La Citerne d’Aetius, aujourd’hui le stade Vefa, se trouve dans le quartier de Karagümrük, dans l’arrondissement de Fatih. Elle se trouve à proximité de la porte d’Edirne (Edirnekapı) des remparts de Théodose. Le moyen le plus pratique pour s’y rendre est d’emprunter les transports en commun, de nombreuses lignes de bus desservant le quartier.
À voir et à faire
Si la fonction première du site est aujourd’hui celle d’un stade de football, son histoire est palpable. Les imposants remparts byzantins qui entourent le terrain rappellent avec force les origines anciennes de la structure. Les jours sans match, il est souvent possible d’apercevoir l’intérieur du stade et d’apprécier l’immensité de la citerne d’origine.
Une visite de la Citerne d’Aetius peut être combinée avec une exploration du quartier environnant de Karagümrük. Ce quartier historique abrite de nombreux autres sites intéressants, notamment :
- La mosquée Mihrimah Sultan : Un chef-d’œuvre du grand architecte ottoman Mimar Sinan, situé près de la porte d’Edirne.
- Le musée de Chora (Musée Kariye) : Célèbre pour ses magnifiques mosaïques et fresques byzantines, à proximité de la citerne.
- Les remparts théodosiens : Les imposantes murailles de Constantinople, qui offrent un aperçu fascinant de l’histoire défensive de la ville.
En savoir plus sur la citerne d’Aetius
Un héritage de pierre et de terre
La citerne d’Aetius est bien plus qu’une simple citerne. Ruine antique ou stade moderne, c’est un monument vivant qui incarne l’histoire multiforme d’Istanbul. C’est l’histoire de l’ambition impériale, du besoin humain fondamental d’eau, de la résilience tranquille de l’agriculture urbaine et de l’esprit passionné du sport moderne.
Se tenir devant les murs anciens de cette structure remarquable, c’est s’inscrire dans une longue et ininterrompue chaîne d’efforts humains. C’est imaginer les ingénieurs byzantins qui ont conçu son grandiose projet, les agriculteurs ottomans qui ont cultivé ses terres fertiles et les générations de supporters de football qui ont rempli ses tribunes de leurs espoirs et de leurs acclamations.
La Citerne d’Aetius nous rappelle avec force que dans une ville aussi ancienne et dynamique qu’Istanbul, le passé n’est jamais vraiment révolu ; il attend simplement d’être redécouvert dans les endroits les plus inattendus.
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